La positive attitude
Il fut un temps où je disais souvent que j'avais la poisse.
Et où mon entourage, lassé de mes plaintes, me rembarrait à coup de "Mais enfin tu te fais des idées", "Arrête ça arrive à tout le monde", "Ca pourrait être pire" et autres "Oh ça va ta gueule".
C'est vrai que "ça" (rester bloquée trois heures dans un train en raison d'un poney bloqué sur la voie, se faire chier dessus par le seul pigeon d'une place noire de monde, répondre à une annonce de baby-siter et se retrouver mêlée à une sombre histoire de fétichiste des pieds...) arrive à tout le monde (quoique), mais rarement à la même personne, et rarement le même jour.
Et c'est vrai également que "ça" pourrait être pire, j'aurais aussi pu me faire violer par le fétichiste et le poney pendant que le pigeon nous filmait et balançait la vidéo sur YouPorn.
Vint quand même un moment où mon entourage ne put que constater que je me faisais pas tant d'idées que ça, et en déduisit qu'il éviterait à présent de me fréquenter de trop près.
De mon côté, devant la difficulté à tenter d'éviter de me fréquenter de trop près, je trouvai une autre solution, que je m'efforce encore d'appliquer aujourd'hui. Un raisonnement qui consiste, à chaque épreuve que la vie ou la SNCF m'inflige, à trouver ma part de responsabilité, dans l'évènement lui-même ou dans ses suites et conséquences.
Je m'explique : tomber sur un fétichiste des pieds alors que je réponds innocemment à une annonce de baby-sit, je n'y suis pas pour grand chose. En revanche, accorder toute ma confiance à un mec à la respiration haletante qui me dit au téléphone "je fais partie d'une entreprise qui fait porter des chaussures à des jeunes filles contre rémunération êtes-vous d'accord ?"; c'est un peu ma faute à moi, moi Lolita.
Et répondre "Oui monsieur, pas de problème, je vous enverrai régulièrement des photos de mes pieds dans ces chaussures que vous pourrez m'apporter, disons, à 23h30 sur le parking de la zone commerciale d'Argenteuil" là, clairement, je crains.
Que les choses soient claires, l'idée de ce raisonnement n'est pas tant d'en déduire "Bah ça tu l'as bien mérité connasse", que d'en conclure "Tu vois ma petite chatte (Amis Google bienvenue) (pas trop déçus ?) tu n'as pas vraiment la poisse, c'est juste que parfois tu n'as pas la réaction adéquate, mais contrairement à la chkoumoune ça se travaille et ça n'est pas une fatalité, et tu verras, un jour, à toi aussi la vie sourira".
Cette histoire de responsabilité en même temps, c'est presque un réflexe de survie. Parce que si tu t'entêtes à dire que t'as la poisse et que donc tu ne peux rien y faire, tu n'as plus qu'à te mettre un flingue sur la tempe.
Un flingue qui évidemment ne fonctionnera pas, car tu seras tombé sur le seul trafiquant de fausses armes de la place.
En adoptant mon attitude, tu n'en sortiras malheureusement pas plus mort, mais tu pourras quand-même en déduire que tu aurais pu te renseigner mieux sur tes vendeurs avant d'acquérir ton gun, et que "Festifêtes", comme nom de société, ça aurait peut-être dû te mettre la puce à l'oreille.
Tu vois l'idée ?
Depuis ce raisonnement, la vie m'est plus douce. Sauf pour les 2% de situation extrêmes du quotidien où, même en cherchant bien, je n'y suis pour rien et que je ne peux que constater que j'ai VRAIMENT la poisse.
Hier, par exemple. Alors que je suis invitée à une soirée, ma baby-siter me plante à la dernière minute pour une rage de dents.
Je souris (jaune, quand même), et jure qu'on ne m'y reprendra pas, j'aurais du prévoir un plan B.
En quelques minutes, je reprends le contrôle de la situation : j'ajoute dans le sac contenant la bonne bouteille que j'amène pour l'occasion un petit pot, deux doudous, une boîte à musique, un pyjama, et j'emmitoufle ma fille dans sa poussette et mes pieds dans mes nouvelles chaussures.
J'arrive in extremis, pour m'approvisionner, dans le tabac qui s'apprête à fermer, et dont le ménage vient juste de s'achever.
Pour rester dans les temps, je balance mon bagage et extirpe à la hâte ma monnaie de mon sac à mains.
Puis, dans un sursaut de lucidité, je jette un regard au sol.
Et assiste, impuissante et horrifiée, au spectacle effroyable d'une mare de liquide rougeâtre au parfum de vigne s'étalant tout autour de mon sac, entraînant dans sa chute des grumeaux de petit pot carottes-poireaux, entre les oreilles des doudous et les jambes du pyjama, sur mes chaussures, dans le mécanisme de la boîte de musique qui, dans son agonie, arrache encore quelques notes de douleur.
Et je me dis que je n'aurais pas le dernier bus, plus de chaussures, peut-être plus d'amis, rien à bouffer ce soir, et même pas une leçon à tirer de tout ça pour me consoler.
Sauf peut-être celle d'éviter, à l'avenir, de balancer au sol avec violence un sac contenant un litron de vin.
Edit : si tu veux me consoler, tu peux toujours voter ici une fois par jour. (sinon aussi, d'ailleurs) (allez quoi, sois chic)